Par Renaud Goyer
Dans l’est de Hispaniola, cette île que se partage la République dominicaine et Haïti, le paysage politique a changé avec la fin d’un long règne politique, mais les enjeux politiques avec le voisin haïtien demeurent.
Voilà près d’un an déjà, les Dominicains ont porté au pouvoir le candidat du Parti révolutionnaire moderne Luis Abinader associé à une gauche réformée et libérale. Ce choix s’inscrit dans une recomposition du paysage politique dominicain jusqu’alors dominé par le Parti de la libération dominicaine, libéral et de centre-droit. Les vingt dernières années ont été marquées par un essor économique et une hausse du PIB de presque 5% annuellement.
À l’étranger, et en particulier au Canada, on associe généralement l’économie dominicaine au tourisme. C’est d’ailleurs le 5e secteur économique du pays grâce à ses plages de sable blanc et son histoire coloniale. Or, l’activité touristique fait l’objet de débat chez les Dominicains. Si certains défendent son apport en termes de capitaux, d’autres estiment que le tourisme accroît la dépendance économique du pays envers les États-Unis (plus de la moitié des touristes proviennent d’Amérique du Nord) et critiquent les flux de dollars américains qui inondent l’île tout en dévalorisant le peso. De plus, certains remettent en cause la qualité des emplois de ce secteur, tant en termes de stabilité que de salaires, ne permettant pas à ceux qui y travaillent de sortir de la pauvreté alors que 40% des ménages dominicains s’y trouvent.
Légende : Il y a près d'un an était élu en République dominicaine Luis Abinader, du Parti révolutionnaire moderne, associé à une gauche réformée et libérale. Le paysage politique dominicain était pourtant jusqu’alors dominé par un parti libéral et de centre-droit. Néanmoins, la politique migratoire ne semble pas avoir changé de cap.
Crédit : Ips 20 – Wikimédia Commons
Toutefois, ce n’est pas le seul secteur économique de la République dominicaine, qui a une importante production minière et agricole. 2e producteur mondial d’avocat et 4e producteur de papaye, le pays est surtout connu pour sa production de sucre. Ce secteur, contrôlé par très peu d’entreprises, fonctionne grâce à l’immigration haïtienne : dans les champs, près de 90% des ouvriers agricoles proviennent de l’autre partie d’Hispaniola. Depuis longtemps, le traitement des travailleurs haïtiens est dénoncé par maintes organisations non-gouvernementales internationales qui associent celui-ci à l’esclavage, les immigrants devant, pour travailler dans les champs, laisser leurs papiers à l’entreprise qui les embauche. Ils sont alors coincés en République dominicaine et forcés de travailler dans ce secteur. Ceux qui quittent les plantations pour s’installer à Santo Domingo, capitale dominicaine, doivent composer avec le racisme et la violence des Dominicains à leur égard.
Comme le montre très bien le journaliste Alex De Lancer dans son documentaire Mémoire d’une île, Haïti représente, pour son voisin, un enjeu politique d’importance. Main d’œuvre bon marché pour certains secteurs, les immigrants haïtiens n’ont néanmoins pas accès aux retombées du « miracle » économique dominicain. Et la situation politique instable actuelle à Haïti, avec le refus du président de reconnaître la fin de son mandat mais également la hausse importante de l’insécurité et de la précarité, ne fera rien pour diminuer les passages à la frontière et ce, malgré le durcissement de la politique migratoire dominicaine depuis 2015.
En effet, des dizaines de milliers de migrants sont expulsés vers Haïti chaque année à l’aide de méthodes douteuses associées au profilage racial sans égard à la situation familiale. Même si les Dominicains se sont tournés vers un candidat de gauche aux élections présidentielles de juillet 2020, la politique dominicaine est toujours marquée par le populisme et le nationalisme, dont les migrants haïtiens font les frais. D’ailleurs, signe de la continuité de cette politique, en mars dernier nous apprenions que le gouvernement avait « ceinturé » son voisin en construisant un mur à la frontière avec Haïti. À cet égard, Hispaniola semble être symptomatique du défi migratoire qui attend le monde dans les prochaines années.